Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/18

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son fait ; mais, outre que ce n’est point aux hommes à pénétrer les cœurs, il me siérait mal d’éplucher les défauts d’une personne dont je mange le pain. S’il m’était permis de reprendre quelque chose dans mon maître, je blâmerais sa sévérité. Au lieu d’avoir de l’indulgence pour les faibles ecclésiastiques, il les punit avec trop de rigueur. Il persécute surtout sans miséricorde ceux qui, comptant sur leur innocence, entreprennent de se justifier juridiquement, au mépris de son autorité. Je lui trouve encore un autre défaut qui lui est commun avec bien des personnes de qualité ; quoiqu’il aime ses domestiques, il ne fait aucune attention à leurs services, et il les laissera vieillir dans sa maison sans songer à leur procurer quelque établissement. Si quelquefois il leur fait des gratifications, ils ne les doivent qu’à la bonté de quelqu’un qui aura parlé pour eux : il ne s’aviserait jamais de lui-même de leur faire le moindre bien.

Voilà ce que le vieux valet de chambre me dit de son maître. Il me dit après cela ce qu’il pensait des ecclésiastiques avec qui nous avions dîné. Il m’en fit des portraits qui ne s’accordaient guère avec leur maintien. Il ne me les donna pas à la vérité pour de malhonnêtes gens, mais seulement pour d’assez mauvais prêtres. Il en excepta pourtant quelques-uns dont il me vanta fort la vertu. Je ne fus plus embarrassé de ma contenance avec ces messieurs. Dès le soir même, en soupant, je me parai comme eux d’un dehors sage ; cela ne coûte rien. Il ne faut pas s’étonner s’il y a tant d’hypocrites.