Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/186

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vêtu, quand Tordesillas arriva, suivi d’une vieille servante qui m’apportait des chemises et des serviettes. Seigneur Gil Blas, me dit-il, voici du linge. Ne le ménagez pas ; j’aurai soin que vous en ayez toujours de reste. Hé bien ! ajouta-t-il, comment avez-vous passé la nuit ? Le sommeil a-t-il suspendu vos peines pour quelques moments ! Je dormirais peut-être encore, lui répondis-je, si je n’eusse pas été réveillé par une voix accompagnée d’une guitare. Le cavalier qui a troublé votre repos, reprit-il, est un prisonnier d’État qui a sa chambre à côté de la vôtre. Il est chevalier de l’ordre militaire de Calatrava, et il a une figure tout aimable. Il s’appelle don Gaston de Cogollos. Vous pourrez vous voir tous deux, et manger ensemble. Vous trouverez une consolation mutuelle dans vos entretiens. Vous vous serez l’un à l’autre d’un grand agrément. Je témoignai à don André que j’étais très sensible à la permission qu’il me donnait d’unir ma douleur avec celle de ce cavalier ; et, comme je marquai quelque impatience de connaître ce compagnon de malheur, notre obligeant châtelain me procura cette satisfaction dès ce jour-là même. Il me fit dîner avec don Gaston, qui me surprit par sa bonne mine et par sa beauté. Jugez quel homme ce devait être pour éblouir des yeux accoutumés à voir la plus brillante jeunesse de la cour. Imaginez-vous un homme fait à plaisir, un de ces héros de romans qui n’avaient qu’à se montrer pour causer des insomnies aux princesses. Ajoutons à cela que la nature, qui mêle ordinairement ses dons, avait doué Cogollos de beaucoup d’esprit et de valeur. C’était un cavalier parfait.

Si ce cavalier me charma, j’eus de mon côté le bonheur de ne lui pas déplaire. Il ne chanta plus la nuit, de peur de m’incommoder, quelques prières que je lui fisse de ne se pas contraindre pour moi. Une liaison est bientôt formée entre deux personnes qu’un mauvais sort opprime. Une tendre amitié suivit de près notre