Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/189

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elle un entretien secret avec son amie, et tint sa promesse dès le lendemain.

Je cesse d’être malheureux, dis-je à Felicia, puisque mes peines ont excité votre pitié. Que ne dois-je point à votre amie de vous avoir disposée à m’accorder la satisfaction de vous entretenir ! Seigneur, me répondit-elle, Theodora peut tout sur moi. Elle m’a mise dans vos intérêts ; et, si je pouvais faire votre bonheur, vous seriez bientôt au comble de vos vœux : mais avec toute ma bonne volonté, je ne sais si je vous serai d’un grand secours. Il ne faut pas vous flatter : vous n’avez jamais formé d’entreprise plus difficile. Vous aimez une dame prévenue pour un autre cavalier, et quelle dame encore ! Une dame si fière et si dissimulée, que si, par votre constance et par vos soins, vous parvenez à lui arracher des soupirs, ne pensez pas que sa fierté vous donne le plaisir de les entendre. Ah ! ma chère Felicia, m’écriai-je avec douleur, pourquoi me faites-vous connaître tous les obstacles que j’ai à surmonter ? Ce détail m’assassine. Trompez-moi plutôt que de me désespérer. À ces mots, je pris une de ses mains, je la pressai entre les miennes, et je lui mis au doigt un diamant de trois cents pistoles, en lui disant des choses si touchantes, que je la fis pleurer.

Elle était trop émue de mon discours et trop contente de mes manières, pour me laisser sans consolation. Elle aplanit un peu les difficultés. Seigneur, me dit-elle, ce que je viens de vous représenter ne doit pas vous ôter toute espérance. Votre rival, il est vrai, n’est pas haï. Il vient au logis voir librement sa cousine. Il lui parle quand il lui plaît, et c’est ce qui vous est favorable. L’habitude où ils sont tous deux d’être ensemble tous les jours rend leur commerce un peu languissant. Ils me paraissent se quitter sans peine et se revoir sans plaisir. On dirait qu’ils sont déjà mariés. En un mot, je ne vois point que ma maîtresse ait une passion violente pour don Augustin. D’ailleurs, il y a entre vous et lui,