Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/191

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bien pu, lui dit-elle, vous passer de me rapporter cet impertinent entretien. Qu’il ne vous arrive plus, s’il vous plaît, de me venir faire de pareils rapports ; et si ce jeune téméraire ose encore vous parler, je vous ordonne de lui dire qu’il s’adresse à une personne qui fasse plus de cas de ses galanteries, et qu’il choisisse un plus honnête passe-temps que celui d’être toute la journée à ses fenêtres à observer ce que je fais dans mon appartement.

Tout cela me fut fidèlement détaillé, dans une seconde entrevue, par Felicia, qui, prétendant qu’il ne fallait pas prendre au pied de la lettre les paroles de sa maîtresse, voulait me persuader que mes affaires allaient le mieux du monde. Pour moi, qui n’y entendais pas finesse, et qui ne croyais pas qu’on pût expliquer le texte en ma faveur, je me défiais des commentaires qu’elle me faisait. Elle se moqua de ma défiance, demanda du papier et de l’encre à son amie, et me dit : Seigneur chevalier, écrivez tout à l’heure à dona Helena en amant désespéré. Peignez-lui vivement vos souffrances, et surtout plaignez-vous de la défense qu’elle vous fait de paraître à vos fenêtres. Promettez d’obéir ; mais assurez qu’il vous en coûtera la vie. Tournez-moi cela comme vous le savez si bien faire, vous autres cavaliers, et je me charge du reste. J’espère que l’événement fera plus d’honneur que vous n’en faites à ma pénétration.

J’aurais donc été le premier amant qui, trouvant une si belle occasion d’écrire à sa maîtresse, n’en eût pas profité. Je composai une lettre des plus pathétiques. Avant que de la plier, je la montrai à Felicia, qui sourit après l’avoir lue, et me dit que, si les femmes savaient l’art d’entêter les hommes, en récompense les hommes n’ignoraient pas celui d’enjôler les femmes. La soubrette prit mon billet, en m’assurant qu’il ne tiendrait pas à elle qu’il ne produisît un bon effet ; puis, m’ayant recommandé d’avoir soin que mes fenêtres fussent fer-