Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/197

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vous devez peut-être moins à votre adresse qu’à l’obscurité de la nuit. Vous ne songez pas que les armes sont journalières. Elles ne le sont pas pour moi, répliqua-t-il d’un air arrogant ; et je vais vous faire voir que, le jour comme la nuit, je sais punir les chevaliers audacieux qui vont sur mes brisées.

Je ne repartis à cet orgueilleux discours qu’en mettant promptement pied à terre. Don Augustin fit la même chose. Nous attachâmes nos chevaux à un arbre, et nous commençâmes à nous battre avec une égale vigueur. J’avouerai de bonne foi que j’avais affaire à un ennemi qui savait mieux faire des armes que moi, bien que j’eusse deux années de salle. Il était consommé dans l’escrime. Je ne pouvais exposer ma vie à un plus grand péril. Néanmoins, comme il arrive assez souvent que le plus fort est vaincu par le plus faible, mon rival, malgré toute son habileté, reçut un coup d’épée dans le cœur, et tomba raide mort un moment après.

Je retournai aussitôt à la maison de plaisance, où j’appris ce qui venait de se passer à mon valet de chambre dont la fidélité m’était connue. Ensuite je lui dis : Mon cher Ramire, avant que la justice puisse avoir connaissance de cet événement, prends un bon cheval, et va informer ma tante de cette aventure. Demande-lui de ma part de l’or et des pierreries, et viens me joindre à Plazencia. Tu me trouveras dans la première hôtellerie en entrant dans la ville.

Ramire s’acquitta de sa commission avec tant de diligence, qu’il arriva trois heures après moi à Plazencia. Il me dit que dona Eleonor avait été plus réjouie qu’affligée d’un combat qui réparait l’affront que j’avais reçu au premier, et qu’elle m’envoyait tout son or et toutes ses pierreries pour me faire voyager agréablement dans les pays étrangers, en attendant qu’elle eût accommodé mon affaire.

Pour supprimer les circonstances superflues, je vous dirai que je traversai la Castille Nouvelle pour aller