Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soir il répéta devant moi avec enthousiasme, dans son cabinet, une homélie qu’il devait prononcer le lendemain dans la cathédrale. Il ne se contenta pas de me demander ce que j’en pensais en général, il m’obligea de lui dire les endroits qui m’avaient le plus frappé. J’eus le bonheur de lui citer ceux qu’il estimait davantage, ses morceaux favoris. Par là je passai dans son esprit pour un homme qui avait une connaissance délicate des vraies beautés d’un ouvrage. Voilà, s’écria-t-il, ce qu’on appelle avoir du goût et du sentiment ! Va, mon ami, tu n’as pas, je t’assure, l’oreille béotienne. En un mot, il fut si content de moi, qu’il me dit avec vivacité : Sois, Gil Blas, sois désormais sans inquiétude sur ton sort ; je me charge de t’en faire un des plus agréables. Je t’aime, et, pour te le prouver, je te fais mon confident.

Je n’eus pas sitôt entendu ces paroles, que je tombai aux pieds de Sa Grandeur, tout pénétré de reconnaissance. J’embrassai de bon cœur ses jambes cagneuses, et je me regardai comme un homme qui est en train de s’enrichir. Oui, mon enfant, reprit l’archevêque, dont mon action avait interrompu le discours, je veux te rendre dépositaire de mes plus secrètes pensées. Écoute avec attention ce que je vais te dire. Je me plais à prêcher. Le Seigneur bénit mes homélies ; elles touchent les pécheurs, les font rentrer en eux-mêmes et recourir à la pénitence. J’ai la satisfaction de voir un avare, effrayé des images que je présente à sa cupidité, ouvrir ses trésors et les répandre d’une prodigue main ; d’arracher un voluptueux aux plaisirs, de remplir d’ambitieux les ermitages, et d’affermir dans son devoir une épouse ébranlée par un amant séducteur. Ces conversions, qui sont fréquentes, devraient toutes seules m’exciter au travail. Néanmoins, je t’avouerai ma faiblesse, je me propose encore un autre prix, un prix que la délicatesse de ma vertu me reproche inutilement : c’est l’estime que le monde