Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/202

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jure Hélène n’est-elle pas contente de m’avoir sacrifié ? Vous a-t-elle défendu d’écouter mes plaintes ? ou cherchez-vous seulement à m’échapper, pour vous faire un mérite auprès de l’ingrate d’avoir refusé de les entendre ?

Seigneur, me répondit la suivante, je vous avoue ingénument que votre présence me rend confuse. Je ne puis vous revoir sans me sentir déchirée de mille remords. On a séduit ma maîtresse, et j’ai eu le malheur d’être complice de la séduction. Après cela, puis-je sans honte vous voir paraître devant moi ? Ô ciel ! répliquai-je avec surprise, que m’osez-vous dire ? expliquez-vous plus clairement. Alors la soubrette me fit le détail du stratagème dont s’était servi Combados pour m’enlever dona Helena ; et, s’apercevant que son récit me perçait le cœur, elle s’efforça de me consoler. Elle m’offrit ses bons offices auprès de sa maîtresse, me promit de la désabuser, de lui peindre mon désespoir, en un mot, de ne rien épargner pour adoucir la rigueur de ma destinée ; enfin, elle me donna des espérances qui soulagèrent un peu mes peines.

Je passe les contradictions infinies qu’elle eut à essuyer de la part de dona Helena pour la faire consentir à me voir. Elle en vint pourtant à bout. Il fut résolu entre elles qu’on me ferait entrer secrètement chez don Blas, la première fois qu’il irait à une terre où il allait de temps en temps chasser, et où il demeurait ordinairement un jour ou deux. Ce dessein s’exécuta bientôt. Le mari partit pour la campagne ; on eut soin de m’en avertir, et de m’introduire une nuit dans l’appartement de sa femme.

Je voulus commencer la conversation par des reproches ; on me ferma la bouche. Il est inutile de rappeler le passé, me dit la dame. Il ne s’agit point ici de nous attendrir l’un l’autre, et vous êtes dans l’erreur, si vous me croyez disposée à flatter vos sentiments. Je vous le déclare, don Gaston, je n’ai prêté mon consen-