Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/231

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de m’informer dans quel état se trouvaient mes parents, avant que de me présenter devant eux ; et, pour le savoir, je ne pouvais mieux m’adresser qu’à l’hôte ou qu’à l’hôtesse de ce cabaret, que je connaissais pour des gens qui ne pouvaient ignorer les affaires de leurs voisins. En effet, l’hôte m’ayant reconnu après m’avoir envisagé avec attention, s’écria : Par saint Antoine de Pade ! voici le fils du bon écuyer Blas de Santillane. Oui, vraiment, dit l’hôtesse, c’est lui-même ; je le reconnais bien ; il n’a presque point changé : c’est ce petit éveillé de Gil Blas, qui avait plus d’esprit qu’il n’était gros. Il me semble que je le vois encore, qui vient avec sa bouteille chercher ici du vin pour le souper de son oncle.

Madame, lui dis-je, vous avez une heureuse mémoire ; mais de grâce apprenez-moi des nouvelles de ma famille. Mes père et mère ne sont pas sans doute dans une agréable situation. Cela n’est que trop véritable, répondit l’hôtesse : dans quelque état fâcheux que vous puissiez vous les représenter, vous ne sauriez vous imaginer des personnes qui soient plus à plaindre. Le bonhomme Gil Perez est devenu paralytique de la moitié du corps, et n’ira pas loin, selon toutes les apparences ; votre père, qui demeure depuis peu chez ce chanoine, a une fluxion de poitrine, ou, pour mieux dire, il est dans ce moment entre la vie et la mort ; et votre mère, qui ne se porte pas trop bien, est obligée de servir de garde à l’un et à l’autre : telle est leur situation.

Sur ce rapport, qui me fit sentir que j’étais fils, je laissai Bertrand avec mon équipage à l’hôtellerie ; et, suivi de mon secrétaire, qui ne voulut point m’abandonner, je me rendis chez mon oncle. D’abord que je parus devant mère, une émotion que je lui causai lui annonça ma présence, avant que ses yeux eussent démêlé mes traits. Mon fils, me dit-elle tristement après m’avoir embrassé, venez voir mourir votre père ; vous venez assez à temps pour être frappé de ce cruel