Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

drais que votre complaisance pour votre épouse ne l’emportât sur la force du sang, et je ne voudrais pas jurer que dans nos brouilleries vous ne prissiez plutôt le parti de votre femme que le mien, quelque tort qu’elle pût avoir.

Vans parlez à merveille, Madame, s’écria mon secrétaire en se mêlant à la conversation ; je crois comme vous que les brus dociles sont bien rares. Cependant, pour vous accorder vous et mon maître, puisque vous voulez absolument demeurer, vous dans les Asturies, et lui dans le royaume de Valence, il faut qu’il vous fasse une pension de cent pistoles, que je vous apporterai ici tous les ans. Par ce moyen, la mère et le fils vivront tort satisfaits à deux cents lieues l’un de l’autre. Les deux parties intéressées approuvèrent la convention proposée ; après quoi, je payai la première année d’avance ; et je sortis d’Oviedo le lendemain avant le jour, de peur d’être traité par la populace comme un saint Étienne[1]. Telle fut la réception que l’on me fit dans ma patrie. Belle leçon pour les hommes du commun, lesquels, après s’être enrichis hors de leur pays, y veulent retourner pour y faire les gens d’importance ! Plus ils y feront briller de richesses, plus ils seront hais de leurs compatriotes.


CHAPITRE III

Gil Blas prend la route du royaume de Valence, et arrive enfin à Lirias ; description de son château, comment il y fut reçu et quelles gens il y trouva.


Nous prîmes le chemin de Léon, ensuite celui de Palencia ; et, continuant notre voyage à petites journées, nous arrivâmes, au bout de la dixième, à la ville de Ségorbe, d’où le lendemain dans la matinée nous

  1. Saint Étienne, lapidé par les Juifs, pria Dieu, en mourant, pour ses persécuteurs.