Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/241

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avaient pour moi. Je fus frappé, entre autres choses, de deux appartements qui étaient aussi bien meublés qu’ils pouvaient l’être sans magnificence. Dans l’un, il y avait une tapisserie des Pays-Bas, avec un lit et des chaises de velours, le tout propre encore, quoique fait du temps que les Maures occupaient le royaume de Valence. Les meubles de l’autre appartement étaient dans le même goût ; c’était une vieille tenture de damas de Gênes jaune, avec un lit et des fauteuils de la même étoffe, garnis de franges de soie bleue. Tous ces effets, qui dans un inventaire auraient été peu prisés, paraissaient là très considérables.

Après avoir bien examiné toutes ces choses, nous revînmes, mon secrétaire et moi, dans la salle où était dressée une table sur laquelle étaient deux couverts ; nous nous y assîmes, et dans le moment on nous servit une olla podrida si délicieuse, que nous plaignîmes l’archevêque de Valence de n’avoir plus le cuisinier qui l’avait faite. Nous avions à la vérité beaucoup d’appétit, ce qui nous ne la faisait pas trouver plus mauvaise. À chaque morceau que nous mangions, mes laquais de nouvelle date nous présentaient de grands verres, qu’ils remplissaient jusqu’aux bords d’un vin de la Manche exquis. Scipion en était charmé ; mais, n’osant devant eux faire éclater la satisfaction intérieure qu’il ressentait, il me la témoignait par des regards parlants, et je lui faisais connaître par les miens que j’étais aussi content que lui. Un plat de rôti, composé de deux cailles grasses, qui flanquaient un petit levraut d’un fumet admirable, nous fit quitter le pot-pourri, et acheva de nous rassasier. Lorsque nous eûmes mangé comme deux affamés, et bu à proportion, nous nous levâmes de table pour aller au jardin faire voluptueusement la sieste dans quelque endroit frais et agréable.

Si mon secrétaire avait paru jusque-là fort satisfait de ce qu’il avait vu, il le fut encore davantage quand il vit le jardin. Il le trouva comparable à celui de l’Escu-