Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/253

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CHAPITRE VI

Gil Blas, en se promenant dans les rues de Valence, rencontre un religieux qu’il crut reconnaître ; quel homme c’était que ce religieux.


Comme je n’avais pu voir toute la ville le jour précédent, je me levai et je sortis le lendemain dans l’intention de m’y promener encore. J’aperçus dans la rue un chartreux qui sans doute allait vaquer aux affaires de sa communauté. Il marchait les yeux baissés, et il avait l’air si dévot, qu’il s’attirait les regards de tout le monde. Il passa fort près de moi, et je crus voir en lui don Raphaël, cet aventurier qui tient une place si honorable dans les deux premiers volumes de mon histoire.

Je fus si étonné de cette rencontre, qu’au lieu d’aborder le moine, je demeurai immobile pendant quelques moments ; ce qui lui donna le temps de s’éloigner de moi. Juste ciel ! dis-je en moi-même, vit-on jamais deux visages plus ressemblants ? Que faut-il que je pense ? dois-je croire que c’est don Raphaël ? puis-je m’imaginer que ce n’est pas lui ? Je me sentis trop curieux de savoir la vérité pour en demeurer là. Je me fis enseigner le chemin du couvent des chartreux, où je me rendis sur-le-champ, dans l’espérance d’y revoir mon homme quand il y reviendrait, et bien résolu de l’arrêter pour lui parler. Je n’eus pas besoin de l’attendre pour être au fait : en arrivant à la porte du couvent, un autre visage de ma connaissance tourna mon doute en certitude ; je reconnus dans le frère portier Ambroise de Lamela mon ancien valet. Vous vous imaginez bien que ce ne fut pas sans un extrême étonnement.

Notre surprise fut égale de part et d’autre de nous retrouver dans cet endroit. N’est-ce pas une illusion ? lui dis-je en le saluant. Est-ce en effet un de mes amis qui s’offre à ma vue ? Il ne me reconnut pas d’abord, ou