Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/266

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nia, qui lui a été poliment refusée. Sauf ton meilleur avis, lui répliquai-je, il est à propos, ce me semble, de nous défaire de ce drôle-là, avant qu’il apprenne que je veux épouser la fille de Basile ; un cuisinier, comme tu sais, est un rival dangereux. Vous avez raison, repartit mon confident, il faut en purger notre domestique par précaution ; je lui donnerai son congé dès demain matin, avant qu’il se mette à l’ouvrage, et vous n’aurez plus rien à craindre ni de ses sauces ni de son amour. Je suis pourtant, continua-t-il, un peu fâché de perdre un si bon cuisinier ; mais je sacrifie ma gourmandise à votre sûreté. Tu ne dois pas, lui dis-je, tant le regretter ; sa perte n’est point irréparable ; je vais faire venir de Valence un cuisinier qui le vaudra bien. En effet, j’écrivis aussitôt à don Alphonse ; je lui mandai que j’avais besoin d’un cuisinier ; et dès le jour suivant il m’en envoya un qui consola d’abord Scipion.

Quoique ce zélé secrétaire m’eût dit qu’il s’était aperçu qu’Antonia s’applaudissait au fond de son âme d’avoir fait la conquête de son seigneur, je n’osais me fier à son rapport. J’appréhendais qu’il ne se fût laissé tromper par de fausses apparences. Pour en être plus sûr, je résolus de parler moi-même à la belle Antonia. Dans ce dessein, je me rendis chez Basile, à qui je confirmai ce que mon ambassadeur lui avait dit. Ce bon laboureur, homme simple et plein de franchise, après m’avoir écouté, me témoigna que c’était avec une extrême satisfaction qu’il m’accordait sa fille ; mais, ajouta-t-il, ne croyez pas au moins que ce soit à cause de votre titre de seigneur de village. Quand vous ne seriez encore qu’intendant de don César et de don Alphonse, je vous préférerais à tous les autres amoureux qui se présenteraient ; j’ai toujours eu de l’inclination pour vous, et tout ce qui me fâche, c’est qu’Antonia n’ait pas une grosse dot à vous apporter. Je ne lui en demande aucune ; lui dis-je ; sa personne est le seul bien où j’aspire. Votre serviteur très humble, s’écria-