Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/299

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j’entendais la messe, un vieux mendiant vint me demander l’aumône. Je tirai de ma poche deux ou trois maravédis que je lui donnai en lui disant : Mon ami, priez Dieu qu’il me fasse trouver bientôt quelque bonne place ; si votre prière est exaucée, vous ne vous repentirez pas de l’avoir faite ; comptez sur ma reconnaissance.

À ces mots, le gueux me considéra fort attentivement, et me répondit d’un air sérieux : Quel poste souhaiteriez-vous d’avoir ? Je voudrais, lui répliquai-je, être laquais dans quelque maison où je fusse bien. Il me demanda si la chose pressait. On ne peut pas davantage, lui dis-je ; car si je n’ai pas au plus tôt le bonheur d’être placé, il n’y a point de milieu, il faudra que je meure de faim ou que je devienne un de vos confrères. Si vous étiez réduit à cette nécessité, reprit-il, cela serait fâcheux pour vous, qui n’êtes pas fait à nos manières ; mais, pour peu que vous y fussiez accoutumé, vous préféreriez notre état à la servitude, qui sans contredit est inférieure à la gueuserie. Cependant, puisque vous aimez mieux servir que de mener, comme moi, une vie libre et indépendante, vous aurez un maître incessamment. Tel que vous me voyez, je puis vous être utile. Je vais dès aujourd’hui m’employer pour vous. Soyez ici demain à la même heure : je vous rendrai compte de ce que j’aurai fait.

Je n’eus garde d’y manquer. Je revins le jour suivant au même endroit, où je ne fus pas longtemps sans apercevoir le mendiant, qui vint me rejoindre, et qui me dit de prendre la peine de le suivre. Je le suivis. Il me conduisit à une cave qui n’était pas éloignée de l’église, et où il faisait résidence. Nous y entrâmes tous deux ; et nous étant assis sur un long banc qui avait pour le moins cent ans de service, il me tint ce discours : Une bonne action trouve toujours sa récompense ; vous me donnâtes hier l’aumône, et cela m’a déterminé à vous procurer une bonne condition ; ce qui sera bien-