Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/301

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condition. J’entrai dans une boutique, où deux jeunes garçons marchands, proprement vêtus, se promenaient en long et en large, et faisaient les agréables en attendant la pratique. Je leur demandai si le maître y était, et leur dis que j’avais à lui parler de la part du père Alexis. À ce nom respectable, on me fit passer dans une arrière-boutique, où le marchand feuilletait un gros registre qui était sur le bureau. Je le saluai respectueusement : Seigneur, lui dis-je, vous voyez le jeune homme que le révérend père Alexis vous a proposé pour laquais. Ah ! mon enfant, me répondit-il, sois le bienvenu. Il suffit que tu me sois envoyé par ce saint homme, je te reçois à mon service préférablement à trois ou quatre laquais qu’on me veut donner. C’est une affaire décidée ; tes gages courent dès ce jour.

Je n’eus pas besoin d’être longtemps chez ce bourgeois, pour m’apercevoir qu’il était tel qu’on me l’avait dépeint. Il me parut même d’une si grande simplicité, que je ne pus m’empêcher de penser que j’aurais bien de la peine à m’abstenir de lui jouer quelque tour. Il était veuf depuis quatre années, et il avait deux enfants, un garçon qui achevait son cinquième lustre, et une fille qui commençait son troisième. La fille, élevée par une duègne sévère, et dirigée par le père Alexis, marchait dans le sentier de la vertu ; mais Gaspard Velasquez, son frère, quoiqu’on n’eût rien épargné pour en faire un honnête homme, avait tous les vices d’un jeune libertin. Il passait quelquefois deux ou trois jours hors du logis ; et si, à son retour, son père s’avisait de lui en faire des reproches, Gaspard lui imposait silence, en le prenant sur un ton plus haut que le sien.

Scipion, me dit un jour le vieillard, j’ai un fils qui fait toute ma peine. Il est plongé dans toutes sortes de débauches : cela m’étonne, car son éducation n’a pas été négligée. Je lui ai donné de bons maîtres ; et le père Alexis, mon ami, a fait tous ses efforts pour le mettre