Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/305

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faire une fausse clef, quand nous pouvons nous servir de la véritable ? Tu as raison, me répondit-il, mais je crains que mon père, par défiance ou autrement, ne s’avise de la cacher ailleurs, et le plus sûr est d’en avoir une qui soit à nous. J’approuvai sa crainte, et, me rendant à son sentiment, je me préparai à prendre l’empreinte de la clef ; ce qui fut exécuté un beau matin, tandis que mon vieux patron faisait une visite au père Alexis, avec lequel il avait ordinairement de fort longs entretiens. Je n’en demeurai pas là : je me servis de la clef pour ouvrir le coffre-fort, qui, se trouvant rempli de grands et de petits sacs, me jeta dans un embarras charmant. Je ne savais lequel choisir, tant je me sentais d’affection pour les uns et pour les autres ! néanmoins, comme la peur d’être surpris ne me permettait pas de faire un long examen, je me saisis à tout hasard d’un des plus gros. Ensuite, ayant refermé le coffre, et remis la clef derrière la tapisserie, je sortis de la chambre avec ma proie, que j’allai cacher dans une petite garde-robe, en attendant que je pusse la remettre au jeune Velasquez, qui m’attendait dans une maison où il m’avait donné rendez-vous, et que je rejoignis promptement en lui apprenant ce que je venais de faire. Il fut si content de moi, qu’il m’accabla de caresses, et m’offrit généreusement la moitié des espèces qui étaient dans le sac ; ce que je refusai. Non, non, Monsieur, lui dis-je, ce premier sac est pour vous seul ; servez-vous en pour vos besoins. Je retournerai incessamment au coffre-fort, où, grâce au ciel, il y a de l’argent pour nous deux. En effet, trois jours après j’enlevai un second sac, où il y avait, ainsi que dans le premier, cinq cents écus, desquels je ne voulus accepter que le quart, quelques instances que me fît Gaspard pour m’obliger à les partager avec lui fraternellement.

Sitôt que ce jeune homme se vit si bien en fonds, et par conséquent en état de satisfaire la passion qu’il avait pour les femmes et pour le jeu, il eut le malheur