Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/306

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de s’entêter d’une de ces fameuses coquettes qui dévorent et engloutissent en peu de temps les plus gros patrimoines. Il se jeta pour elle dans une dépense effroyable, ce qui me mit dans la nécessité de rendre tant de visites au coffre-fort, que le vieux Velasquez s’aperçut enfin qu’on le volait. Scipion, me dit-il un matin, il faut que je te découvre mon cœur : quelqu’un me vole, mon ami : on a ouvert mon coffre-fort ; on en a tiré plusieurs sacs ; c’est un fait constant. Qui dois-je accuser de ce larcin ? ou plutôt, quel autre que mon fils peut l’avoir fait ? Gaspard sera furtivement entré dans ma chambre, ou bien tu l’y auras toi-même introduit ; car je suis tenté de te croire d’accord avec lui, quoique vous paraissiez tous deux fort mal ensemble. Néanmoins, ajouta-t-il, je ne veux pas écouter ce soupçon, puisque le père Alexis m’a répondu de ta fidélité. Je répondis que, grâce à Dieu, le bien d’autrui ne me tentait point, et j’accompagnai ce mensonge d’une grimace hypocrite qui me servit d’apologie.

Effectivement, le vieillard ne m’en parla plus ; mais il ne laissa pas de m’envelopper dans sa défiance ; et, prenant des précautions contre nos attentats, il fit mettre à son coffre-fort une nouvelle serrure, dont il porta toujours depuis la clef dans ses poches. Par ce moyen, tout commerce étant rompu entre nous et les sacs, nous demeurâmes fort sots, particulièrement Gaspard, qui, ne pouvant plus faire la même dépense pour sa nymphe, craignit d’être obligé de ne la plus voir. Il eut pourtant l’esprit d’imaginer un expédient qui le fit rouler pendant quelques jours, et cet ingénieux expédient fut de s’approprier, par forme d’emprunt, tout ce qui m’était revenu des saignées que j’avais faites au coffre-fort. Je lui donnai jusqu’à la dernière pièce ; ce qui pouvait, ce me semble, passer pour une restitution anticipée que je faisais au vieux marchand dans la personne de son héritier.

Ce jeune homme, lorsqu’il eut épuisé cette ressource,