Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

achevant ces paroles, je me prosternai devant lui avec beaucoup d’émotion, et le visage baigné de larmes. Le marchand, surpris de mon action et de mon air troublé, me demanda ce que j’avais fait. Une faute dont je me repens, lui répondis-je, et que je me reprocherai toute ma vie. J’ai eu la faiblesse d’écouter votre fils, et de l’aider à vous voler. En même temps je lui fis un aveu sincère de tout ce qui s’était passé à ce sujet ; après quoi je lui rendis compte de la conversation que je venais d’avoir avec Gaspard, dont je lui révélai le dessein sans oublier la moindre circonstance.

Quelque mauvaise opinion que le vieux Velasquez eût de son fils, à peine pouvait-il ajouter foi à ce discours. Néanmoins, ne doutant nullement que mon rapport ne fût véritable : Scipion, me dit-il en me relevant, car j’étais toujours à ses pieds, je te pardonne en faveur de l’avis important que tu viens de me donner. Gaspard, poursuivit-il en élevant sa voix, Gaspard en veut à mes jours ! Ah ! fils ingrat, monstre qu’il eût mieux valu étouffer en naissant que laisser vivre pour devenir un parricide, quel sujet as-tu d’attenter sur ma vie ? Je te fournis tous les ans une somme raisonnable pour tes plaisirs, et tu n’es pas content ! Faut-il donc, pour te satisfaire, que je te permette de ruiner ta sœur et de dissiper tous mes biens ? Ayant fait cette apostrophe amère, il me recommanda le secret, et me dit de le laisser seul songer à ce qu’il avait à faire dans une conjoncture si délicate.

J’étais fort en peine de savoir quelle résolution prendrait ce père infortuné, lorsque le même jour il fit appeler Gaspard, et lui tint ce discours sans rien lui témoigner de ce qu’il avait dans l’âme : Mon fils, j’ai reçu une lettre de Merida, d’où l’on me mande que, si vous voulez vous marier, on vous offre une fille de quinze ans, parfaitement belle, et qui vous apportera une riche dot. Si vous n’avez pas de répugnance pour le mariage, nous partirons demain au lever de l’aurore