Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/309

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pour Merida : nous verrons la personne qu’on vous propose ; si elle est de votre goût, vous l’épouserez ; et si elle ne l’est pas, il ne sera plus parlé de ce mariage. Gaspard, entendant parler d’une riche dot, et croyant déjà la tenir, répondit sans hésiter qu’il était prêt à faire ce voyage : si bien qu’ils partirent le lendemain dès la pointe du jour, tous deux seuls, et montés sur de bonnes mules.

Quand ils furent dans les montagnes de Fesira, et dans un endroit aussi chéri des voleurs que redouté des passants, Baltazar mit pied à terre, en disant à son fils d’en faire autant. Le jeune homme obéit et demanda pourquoi, dans ce lieu-là, on le faisait descendre de sa mule. Je vais te l’apprendre, lui répondit le vieillard en l’envisageant avec des yeux où sa douleur et sa colère étaient peintes : nous n’irons point à Merida ; et l’hymen dont je t’ai parlé n’est qu’une fable que j’ai inventée pour t’attirer ici. Je n’ignore pas, fils ingrat et dénaturé, le forfait que tu médites. Je sais qu’un poison, préparé par tes soins me doit être présenté ; mais, insensé que tu es, as-tu pu te flatter que tu m’ôterais de cette façon impunément la vie ? Quelle erreur ! Songe que ton crime serait bientôt découvert, et que tu périrais par la main du bourreau. Il est, continua-t-il, un moyen plus sûr de contenter ta rage, sans t’exposer à une mort ignominieuse ; nous sommes ici sans témoin, et dans un endroit où se commettent tous les jours des assassinats ; puisque tu es si altéré de mon sang, enfonce ton poignard dans mon sein : on imputera ce meurtre à des brigands. À ces mots Baltazar, découvrant sa poitrine, et marquant la place de son cœur à son fils : Tiens, Gaspard, ajouta-t-il, porte-moi là un coup mortel, pour me punir d’avoir produit un scélérat comme toi !

Le jeune Velasquez, frappé de ces paroles, comme d’un coup de tonnerre, bien loin de chercher à se justifier, tomba tout à coup sans sentiment aux pieds de