Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/31

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comme un généreux Mécène à qui je dois la vie aisée et tranquille que j’y mène.

Pendant qu’il me tenait ce discours, on lui apporta sa portion. Il se mit à manger, sans pourtant cesser de me dire par intervalles quelque chose de flatteur. Je saisis ce temps-là pour parler à mon tour ; et comme il n’oublia pas de me demander des nouvelles de son ami le maître d’hôtel, je ne lui fis pas un mystère de ma sortie de l’archevêché. Je lui contai même jusqu’aux moindres circonstances de ma disgrâce, qu’il écouta fort attentivement. Après tout ce qu’il venait de me dire, qui ne se serait pas attendu à l’entendre, pénétré d’une douleur reconnaissante, déclamer contre l’archevêque ? Mais c’est à quoi il ne pensait nullement ; au contraire, il devint froid et rêveur, acheva de dîner sans me dire une parole ; puis, se levant de table brusquement, il me salua d’un air glacé, et disparut. L’ingrat, ne me voyant plus en état de lui être utile, s’épargnait jusqu’à la peine de me cacher ses sentiments. Je ne fis que rire de son ingratitude, et, le regardant avec tout le mépris qu’il méritait, je lui criai d’un ton assez haut pour en être entendu : Holà ! ho ! sage aumônier des religieuses, allez faire rafraîchir ce délicieux vin de Lucène dont vous m’avez fait fête !


CHAPITRE VI

Gil Blas va voir jouer les comédiens de Grenade. De l’étonnement où le jeta la vue d’une actrice, et de ce qu’il en arriva.


Garcias n’était pas hors de la salle, qu’il entra deux cavaliers fort proprement vêtus, qui vinrent s’asseoir auprès de moi. Ils commencèrent à s’entretenir des comédiens de la troupe de Grenade, et d’une comédie