Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/310

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son père. Ce bon vieillard, le voyant dans cet état qui lui parut un commencement de repentir, ne put s’empêcher de céder à la faiblesse de la paternité ; il s’empressa de le secourir ; mais Gaspard n’eut pas sitôt repris l’usage de ses sens, que, ne pouvant soutenir la présence d’un père si justement irrité, il fit un effort pour se relever ; il remonta promptement sur sa mule, et s’éloigna sans dire une parole. Baltazar le laissa disparaître, et, l’abandonnant à ses remords, revint à Cordoue, où six mois après il apprit qu’il s’était jeté dans la chartreuse de Séville, pour y passer le reste de ses jours dans la pénitence.


CHAPITRE XII

Fin de l’histoire de Scipion.


Le mauvais exemple produit quelquefois de très bons effets. La conduite que le jeune Velasquez avait tenue me fit faire de sérieuses réflexions sur la mienne. Je commençai à combattre mes inclinations furtives, et à vivre en garçon d’honneur. L’habitude que j’avais de me saisir de tout l’argent que je pouvais prendre était formée par tant d’actes réitérés, qu’elle n’était pas aisée à vaincre. Cependant, j’espérais en venir à bout, ayant souvent ouï dire que, pour devenir vertueux, il ne fallait que le vouloir véritablement. J’entrepris donc ce grand ouvrage, et le ciel sembla bénir mes efforts ; je cessai de regarder d’un œil de cupidité le coffre-fort du vieux marchand ; je crois même qu’il n’eût tenu qu’à moi d’en tirer des sacs, que je n’en aurais rien fait. J’avouerai pourtant qu’il y aurait eu de l’imprudence à mettre à cette épreuve mon intégrité naissante ; aussi Velasquez s’en garda bien.

Don Manrique de Medrana, jeune gentilhomme, et chevalier de l’ordre d’Alcantara, venait souvent au logis. Nous avions sa pratique qui était une de nos plus