Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/318

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mariage pendant quelque temps, nous nous mariâmes secrètement en présence de la dame Laurença Sephora, gouvernante de Séraphine, et devant quelques autres domestiques du comte de Polan. Je n’eus pas plus tôt épousé Béatrix, qu’elle me facilita les moyens de la voir le jour, et de l’entretenir la nuit dans le jardin, où je m’introduisais par une petite porte dont elle me donna une clef. Jamais deux époux n’ont été plus contents que nous étions l’un de l’autre. Béatrix et moi, nous attendions avec une égale impatience l’heure du rendez-vous ; nous y courions avec le même empressement, et le temps que nous passions ensemble, quoiqu’il fût quelquefois assez long, nous semblait toujours trop court. Enfin, nous vivions plutôt en amants qu’en époux ; mais la fortune jalouse troubla bientôt notre félicité.

Une nuit, qui fut aussi cruelle pour moi que les précédentes avaient été douces, je fus surpris, en voulant entrer dans le jardin, de trouver la petite porte ouverte. Cette nouveauté m’alarma ; j’en tirai un mauvais augure ; je devins pâle et tremblant, comme si j’eusse pressenti ce qui m’allait arriver ; et, m’avançant dans l’obscurité vers un cabinet de verdure, où j’avais accoutumé de parler à mon épouse, j’entendis la voix d’un homme. Je m’arrêtai tout à coup pour mieux ouïr, et mon oreille fut aussitôt frappée de ces paroles : Ne me faites donc point languir, ma chère Béatrix, achevez mon bonheur : songez que votre fortune y est attachée. Au lieu d’avoir la patience d’écouter encore, je crus n’avoir pas besoin d’en entendre davantage ; une fureur jalouse s’empara de mon âme, et, ne respirant que vengeance, je tirai mon épée, et j’entrai brusquement dans le cabinet. Ah ! lâche suborneur, m’écriai-je, qui que tu sois, il faut que tu m’arraches la vie avant que tu m’ôtes l’honneur. En disant ces mots, je chargeai le cavalier qui s’entretenait avec Béatrix. Il se mit promptement en défense, et se battit en