Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/337

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redoubla sa surprise en lui disant : Comte, je mets ce jeune homme entre vos mains ; occupez-le, je vous charge du soin de l’avancer. Le ministre affecta de recevoir cet ordre d’un air gracieux, en me considérant depuis les pieds jusqu’à la tête, et fort en peine de savoir qui j’étais. Allez, mon ami, ajouta le monarque en m’adressant la parole et en me faisant signe de me retirer, le comte ne manquera pas de vous employer utilement pour mon service et pour vos intérêts.

Je sortis aussitôt du cabinet et rejoignis le fils de la Coscolina, qui, très impatient d’apprendre ce que le roi m’avait dit, était dans une agitation inconcevable. Mais remarquant sur mon visage un air de satisfaction : Si j’en crois mes yeux, me dit-il, au lieu de retourner à Valence, nous avons bien la mine de demeurer à la cour. Cela pourrait bien être, lui répondis-je ; en même temps je le ravis en lui racontant mot pour mot le petit entretien que je venais d’avoir avec le monarque. Mon cher maître, me dit alors Scipion dans l’excès de sa joie, prendrez-vous une autre fois de mes almanachs ? Avouez que vous ne me savez pas à présent mauvais gré de vous avoir exhorté à faire le voyage de Madrid. Je vous vois déjà dans un poste éminent ; vous deviendrez le Calderone du comte d’Olivarès. C’est ce que je ne souhaite pas du tout, interrompis-je ; cette place est environnée de trop de précipices pour exciter mon envie. Je voudrais un bon emploi où je n’eusse aucune occasion de faire des injustices ni un honteux trafic des bienfaits du prince. Après l’usage que j’ai fait de ma faveur passée, je ne puis être assez en garde contre l’avarice et contre l’ambition. Allez, Monsieur, reprit mon secrétaire, le ministre vous donnera quelque bon poste que vous pourrez remplir sans cesser d’être honnête homme.

Plus pressé par Scipion que par ma curiosité, je me rendis le jour suivant chez le comte d’Olivarès avant le lever de l’aurore, ayant appris que tous les matins, soit