Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/339

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de le revoir ; je ne doute pas qu’il ne vous fasse meilleure mine. Je suivis le conseil de mon secrétaire ; je me montrai pour la seconde fois devant le ministre, qui, me traitant encore plus mal que la première, fronça le sourcil en m’envisageant, comme si ma vue lui eût fait de la peine ; puis il détourna de moi ses regards, et se retira sans me dire mot.

Je fus piqué de ce procédé jusqu’au vif, et tenté de partir sur-le-champ pour retourner à Valence ; mais c’est à quoi Scipion ne manqua pas de s’opposer, ne pouvant se résoudre à renoncer aux espérances qu’il avait conçues. Ne vois-tu pas, lui dis-je, que le comte veut m’écarter de la cour ? Le monarque lui a témoigné de la bonne volonté pour moi ; cela ne suffit-il pas pour m’attirer l’aversion de son favori ? Cédons, mon enfant, cédons de bonne grâce au pouvoir d’un ennemi si redoutable. Monsieur, répondit-il en colère contre le comte d’Olivarès, je n’abandonnerais pas si facilement le terrain. Je voudrais même avoir raison d’un accueil si offensant. J’irais me plaindre au roi du peu de cas que le ministre fait de sa recommandation. Mauvais conseil, lui dis-je, mon ami : si je faisais cette démarche imprudente, je ne tarderais guère à m’en repentir. Je ne sais même si je ne cours pas quelque péril à m’arrêter dans cette ville.

Mon secrétaire, à ce discours, rentra en lui-même, et, considérant qu’en effet nous avions affaire à un homme qui pouvait nous faire revoir Ségovie, il partagea ma crainte. Il ne combattit plus l’envie que j’avais de quitter Madrid, d’où je résolus de m’éloigner dès le lendemain.