Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/369

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CHAPITRE XI

Santillane fait donner un emploi à Scipion, qui part pour la Nouvelle-Espagne.


Mon secrétaire ne regarda pas sans envie le bonheur inopiné du poète Nunez : il ne cessa de m’en parler pendant huit jours. J’admire, disait-il, le caprice de la fortune, qui se plaît quelquefois à combler de biens un détestable auteur, tandis qu’elle en laisse de bons dans la misère. Je voudrais bien qu’elle s’avisât de m’enrichir aussi du soir au lendemain. Cela pourra bien arriver, lui disais-je, et plus tôt que tu ne penses. Tu es ici dans son temple ; car il me semble qu’on peut appeler le Temple de la Fortune la maison d’un premier ministre, où l’on accorde souvent des grâces qui engraissent tout à coup ceux qui les obtiennent. Cela est véritable, Monsieur, me répondit-il, mais il faut avoir la patience de les attendre. Encore une fois, Scipion, lui répliquai-je, sois tranquille ; peut-être es-tu sur le point d’avoir quelque bonne commission. Effectivement il s’offrit peu de jours après une occasion de l’employer utilement au service du comte-duc, et je ne la laissai point échapper.

Je m’entretenais un matin avec don Raimond Caporis, intendant de ce premier ministre, et notre conversation roulait sur les revenus de Son Excellence. Monseigneur jouit, disait-il, des commanderies de tous les ordres militaires, ce qui lui vaut par an quarante mille écus ; et il n’est obligé que de porter la croix d’Alcantara. De plus, ses trois charges de grand chambellan, de grand écuyer et de grand chancelier des Indes lui rapportent deux cent mille écus ; et tout cela n’est rien encore en comparaison des sommes immenses qu’il tire des Indes. Savez-vous bien de quelle manière ?