Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/37

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mettrai en état de se consoler d’avoir été trop sincère avec son archevêque.

Les remercîments que je fis là-dessus au marquis furent suivis de ceux de Laure, qui enchérirent sur les miens. Ne parlons plus de cela, interrompit-il ; c’est une affaire finie. En achevant ces paroles, il salua sa princesse de théâtre, et sortit. Elle me fit aussitôt passer dans un cabinet, où, se voyant seule avec moi : J’étoufferais, s’écria-t-elle, si je résistais plus longtemps à l’envie que j’ai de rire. Alors elle se renversa dans un fauteuil ; et, se tenant les côtés, elle s’abandonna comme une folle à des ris immodérés. Il me fut impossible de ne pas suivre son exemple : et, quand nous nous en fûmes bien donné : Avoue, Gil Blas, me dit-elle, que nous venons de jouer une plaisante comédie ! Mais je ne m’attendais pas au dénoûment. J’avais dessein seulement de te ménager une table et un logement ; et, pour te les offrir avec bienséance, je t’ai fait passer pour mon frère. Je suis ravie que le sort t’ait présenté un si bon poste. Le marquis de Marialva est un seigneur généreux, qui fera plus encore pour toi qu’il n’a promis de faire. Une autre que moi, poursuivit-elle, n’aurait peut-être pas reçu si gracieusement un homme qui quitte ses amis sans leur dire adieu. Mais je suis de ces bonnes pâtes de filles qui revoient toujours avec plaisir un fripon qu’elles ont aimé.

Je demeurai d’accord de bonne foi de mon impolitesse, et je lui en demandai pardon. Après quoi elle me conduisit dans une salle à manger très propre. Nous nous mîmes à table ; et, comme nous avions pour témoins une femme de chambre et un laquais, nous nous traitâmes de frère et de sœur. Lorsque nous eûmes dîné, nous repassâmes dans le même cabinet où nous nous étions entretenus. Là mon incomparable Laure, se livrant à toute sa gaieté naturelle, me demanda compte de tout ce qui m’était arrivé depuis notre séparation. Je lui en fis un fidèle rapport ; et, quand j’eus