Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/382

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Ce discours fit rire le Ministre, qui me dit : C’est-à-dire, Gil Blas, que tu veux faire un gouverneur de prison royale comme tu as fait un vice-roi. Eh bien ! soit, mon ami, je t’accorde la place vacante pour Tordesillas ; mais dis-moi tout naturellement quel profit il doit t’en revenir ; car je ne te crois pas assez sot pour vouloir employer ton crédit pour rien. Monseigneur, lui répondis-je, ne faut-il pas payer ses dettes ? Don André m’a fait sans intérêt tous les plaisirs qu’il a pu, ne dois-je pas lui rendre la pareille ? Vous êtes devenu bien désintéressé, monsieur de Santillane, me répliqua Son Excellence en riant ; il me semble que vous l’étiez beaucoup moins sous le dernier ministère. J’en conviens, lui repartis-je : le mauvais exemple corrompit mes mœurs : comme tout se vendait alors, je me conformai à l’usage ; et, comme aujourd’hui tout se donne, j’ai repris mon intégrité.

Je fis donc pourvoir don André de Tordesillas du gouvernement de la prison royale de Valladolid, et je l’envoyai bientôt dans cette ville, aussi satisfait de son nouvel établissement que je l’étais de m’être acquitté envers lui des obligations que je lui avais.


CHAPITRE XIV

Santillane va chez le poète Nunez. Quelles personnes il y trouva, et quels discours y furent tenus.


Il me prit envie, une après-dînée, d’aller voir le poète des Asturies, me sentant fort curieux de savoir de quelle façon il était logé. Je me rendis à l’hôtel du seigneur don Bertrand Gomez del Ribero, et j’y demandai Nunez. Il ne demeure plus ici, me dit un laquais qui était à la porte ; c’est là qu’il loge à présent, ajouta-t-il en me montrant une maison voisine ; il