Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/42

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remîmes à voyager ; et Coïmbre vit bientôt dans ses murs un nouveau ménage.

Mon mari m’acheta des habits de femme assez propres, et me fit présent de plusieurs diamants, parmi lesquels je reconnus celui de don Félix Maldonado. Il ne m’en fallut pas davantage pour deviner d’où venaient toutes les pierres précieuses que j’avais vues, et pour être persuadée que je n’avais pas épousé un rigide observateur du septième article du Décalogue. Mais, me considérant comme la cause première de ses tours de main, je les lui pardonnais. Une femme excuse jusqu’aux mauvaises actions que sa beauté fait commettre. Sans cela, qu’il m’eût paru un méchant homme !

Je fus assez contente de lui pendant deux ou trois mois. Il avait toujours des manières galantes, et semblait m’aimer tendrement. Néanmoins, les marques d’amitié qu’il me donnait n’étaient que de fausses apparences : le fourbe me trompait, et me préparait le traitement que toute fille séduite par un malhonnête homme doit attendre de lui. Un matin, à mon retour de la messe, je ne trouvai plus au logis que les murailles ; les meubles, et jusques à mes hardes, tout avait été emporté. Zendono et son fidèle valet avaient si bien pris leurs mesures, qu’en moins d’une heure le dépouillement entier de la maison avait été fait et parfait ; en manière qu’avec le seul habit dont j’étais vêtue, et la bague de don Félix, qu’heureusement j’avais au doigt, je me vis, comme une autre Ariane, abandonnée par un ingrat. Mais je t’assure que je ne m’amusai point à faire des élégies sur mon infortune. Je bénis plutôt le ciel de m’avoir délivrée d’un scélérat qui ne pouvait manquer de tomber tôt ou tard entre les mains de la justice. Je regardai le temps que nous avions passé ensemble comme un temps perdu, que je ne tarderais guère à réparer. Si j’eusse voulu demeurer en Portugal, et m’attacher à quelque femme de condition, j’en aurais trouvé de reste ; mais, soit que j’aimasse mon pays,