Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/420

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sir couler ses pleurs. L’épouse du ministre ne se rebuta point ; elle s’humilia jusqu’à implorer les bons offices des dames de la reine ; mais le fruit qu’elle recueillit de ses bassesses fut de s’apercevoir qu’elles excitaient le mépris plutôt que la pitié. Désolée d’avoir fait en vain tant de démarches humiliantes, elle alla rejoindre son époux, pour s’affliger avec lui de la perte d’une place qui, sous un règne tel que celui de Philippe IV, était peut-être la première de la monarchie.

Le rapport que cette dame fit de l’état où elle avait laissé Madrid redoubla le chagrin du comte-duc. Vos ennemis, lui dit-elle en pleurant, le duc de Medina Celi et les autres grands qui vous haïssent, ne cessent de louer le roi de vous avoir ôté du ministère ; et le peuple célèbre votre disgrâce avec une joie insolente, comme si la fin des malheurs de l’État était attachée à celle de votre administration. Madame, lui dit mon maître, suivez mon exemple, dévorez vos chagrins ; il faut céder à l’orage qu’on ne peut détourner. J’avais cru, il est vrai, que je pourrais perpétuer ma faveur jusqu’à la fin de ma vie : illusion ordinaire des ministres et des favoris, qui oublient que leur sort dépend de leur souverain. Le duc de Lerme n’y a-t-il pas été trompé aussi bien que moi, quoiqu’il s’imaginât que la pourpre dont il était revêtu fût un sûr garant de l’éternelle durée de son autorité ?

C’est de cette façon que le comte-duc exhortait son épouse à s’armer de patience, pendant qu’il était lui-même dans une agitation qui se renouvelait tous les jours par les dépêches qu’il recevait de don Henri, lequel, étant demeuré à la cour pour observer ce qui s’y passerait, avait soin de l’en informer exactement. C’était Scipion qui apportait les lettres de ce jeune seigneur, auprès de qui il était encore, et avec qui je ne demeurais plus depuis son mariage avec doña Juana. Les dépêches de ce fils adopté étaient toujours remplies de fâcheuses nouvelles, et malheureusement on n’en