Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/421

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attendait pas d’autres de lui. Tantôt il mandait que les grands ne se contentaient pas de se réjouir publiquement de la retraite du comte-duc, qu’ils s’étaient tous réunis pour faire chasser ses créatures des charges et des emplois qu’elles possédaient, et les faire remplacer par ses ennemis. Une autre fois il écrivait que don Louis de Haro commençait d’entrer en faveur, et que, suivant toutes apparences, il allait devenir premier ministre. De toutes les choses chagrinantes que mon maître apprit, celle qui parut l’affliger davantage fut le changement qui se fit dans la vice-royauté de Naples, que la cour, pour le mortifier seulement, ôta au duc de Medina de Las Torrès, qu’il aimait, pour la donner à l’amirante de Castille, qu’il avait toujours haï.

On peut dire que, pendant trois mois, monseigneur ne sentit, dans la solitude, que trouble et que chagrin ; mais son confesseur, qui était un religieux de l’ordre de Saint-Dominique, et qui joignait à une solide piété une mâle éloquence, eut le pouvoir de le consoler. À force de lui représenter avec énergie qu’il ne devait plus penser qu’à son salut, il eut, avec le secours de la grâce, le bonheur de détacher son esprit de la cour. Son Excellence ne voulut plus savoir de nouvelles de Madrid, et n’eut plus d’autre soin que de se disposer à bien mourir. Mme d’Olivarès, de son côté, faisant un assez bon usage de sa retraite, trouva, dans le couvent dont elle était fondatrice, une consolation préparée par la Providence : il y eut, parmi les religieuses, de saintes filles dont les discours pleins d’onction tournèrent insensiblement en douceur l’amertume de sa vie. À mesure que mon maître détournait sa pensée des affaires du monde, il devenait plus tranquille. Voici de quelle manière il réglait sa journée : il passait presque toute la matinée à entendre des messes dans l’église des religieuses, ensuite il revenait dîner ; après quoi il s’amusait, pendant deux heures, à jouer à toutes sortes de jeux avec moi et quelques-uns de ses plus affectionnés