Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/432

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de traits nouveaux qu’elle me lançait dans le cœur. Je dirai pourtant, pour rendre une exacte justice à l’objet aimé, que ce n’était point une beauté parfaite : si elle avait la peau d’une blancheur éblouissante et la bouche plus vermeille que la rose, son nez était un peu trop long et ses yeux trop petits : cependant le tout ensemble m’enchantait.

Enfin, je ne sortis point du château de Jutella comme j’y étais entré ; et, m’en retournant à Lirias l’esprit rempli de Dorothée, je ne voyais qu’elle, je ne parlais que d’elle. Comment donc, mon maître ! me dit Scipion en me considérant d’un air étonné, vous êtes bien occupé de la sœur de don Juan ! vous aurait-elle inspiré de l’amour ? Oui, mon ami, lui répondis-je, et j’en rougis de honte. Ô ciel ! moi qui, depuis la mort d’Antonia, ai regardé mille jolies personnes avec indifférence, faut-il que j’en rencontre une qui m’enflamme à mon âge, sans que je puisse m’en défendre ? Eh bien ! monsieur, reprit le fils de la Coscolina, vous devez vous applaudir de l’aventure, au lieu de vous en plaindre ; vous êtes encore dans un âge où il n’y a point de ridicule à brûler d’une amoureuse ardeur, et le temps n’a point assez flétri votre front pour vous ôter l’espérance de plaire. Croyez-moi, quand vous reverrez don Juan, demandez-lui hardiment sa sœur : il ne peut la refuser à un homme comme vous ; et d’ailleurs, s’il faut absolument être gentilhomme pour épouser Dorothée, ne l’êtes-vous pas ? Vous avez des lettres de noblesse, cela suffit pour votre postérité : lorsque le temps aura mis sur ces lettres le voile épais dont il couvre l’origine de toutes les maisons, après quatre ou cinq générations la race des Santillane sera des plus illustres.