Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/52

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n’ignorais pas que ma camarade eût plu à ce seigneur, je n’épargnai rien pour le lui souffler, et j’eus le bonheur d’en venir à bout. Je sais bien qu’elle m’en veut du mal ; mais je n’y saurais que faire. Elle devrait songer que c’est une chose si naturelle aux femmes que les meilleures amies ne s’en font pas le moindre scrupule.


CHAPITRE VIII

De l’accueil que les comédiens de Grenade firent à Gil Blas, et d’une nouvelle reconnaissance qui se fit dans les foyers de la comédie.


Dans le moment que Laure achevait de raconter son histoire, il arriva une vieille comédienne de ses voisines, qui venait la prendre en passant pour aller à la comédie. Cette vénérable héroïne de théâtre eût été propre à jouer le personnage de la déesse Cotys[1]. Ma sœur ne manqua pas de présenter son frère à cette figure surannée, et là-dessus grands compliments de part et d’autre.

Je les laissai toutes deux, en disant à la veuve de l’économe que je la rejoindrais au théâtre, aussitôt que j’aurais fait porter mes hardes chez le marquis de Marialva, dont elle m’enseigna la demeure. J’allai d’abord à la chambre que j’avais louée, d’où, après avoir satisfait mon hôtesse, je me rendis avec un homme chargé de ma valise à un grand hôtel garni où mon nouveau maître était logé. Je rencontrai à la porte son intendant qui me demanda si je n’étais point le frère de la dame Estelle. Je répondis qu’oui. Soyez donc le bienvenu, reprit-il, seigneur cavalier. Le marquis de Marialva, dont j’ai l’honneur d’être intendant, m’a ordonné de vous bien recevoir. On vous a préparé une

  1. Cotys ou Cotytto fut, chez les anciens, la déesse de la débauche. Ses mystères infâmes se célébraient la nuit.