Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/59

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CHAPITRE X

De la commission que le marquis de Marialva donna à Gil Blas, et comment ce fidèle secrétaire s’en acquitta.


Le marquis n’était pas encore revenu de chez sa comédienne, et je trouvai dans son appartement ses valets de chambre qui jouaient à la prime en attendant son retour. Je fis connaissance avec eux, et nous nous amusâmes à rire jusqu’à deux heures après minuit que notre maître arriva. Il fut un peu surpris de me voir, et me dit d’un air de bonté qui me fit juger qu’il revenait très satisfait de sa soirée : Comment donc, Gil Blas, vous n’êtes pas encore couché ? Je répondis que j’avais voulu savoir auparavant s’il n’avait rien à m’ordonner. J’aurai peut-être, reprit-il, une commission à vous donner demain matin ; mais il sera temps alors de vous apprendre mes volontés. Allez vous reposer, et souvenez-vous que je vous dispense de m’attendre le soir ; je n’ai besoin que de mes valets de chambre.

Après cet avertissement, qui dans le fond me faisait plaisir, puisqu’il m’épargnait la sujétion que j’aurais quelquefois désagréablement sentie, je laissai le marquis dans son appartement, et me retirai à mon galetas. Je me mis au lit. Mais ne pouvant dormir, je m’avisai de suivre le conseil que nous donne Pythagore, de rappeler le soir ce que nous avons fait dans la journée, pour nous applaudir de nos bonnes actions, ou nous blâmer de nos mauvaises.

Je ne me sentais pas la conscience assez nette pour être content de moi ; aussi je me reprochai d’avoir appuyé l’imposture de Laure. J’avais beau me dire, pour m’excuser, que je n’avais pu honnêtement donner un démenti à une fille qui n’avait en vue que de me