Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/71

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s’il était domestique du duc de Lerme. Je fus curieux de savoir ce que c’était que ce Pédrille qui me paraissait si éveillé. C’est, me dit le capitaine, un garçon qui me servait il y a quelques années et qui, me voyant dans l’indigence, m’y laissa pour aller chercher une meilleure condition. Je ne lui sais point mauvais gré de cela ; il est fort naturel de changer pour être mieux. C’est un drôle qui ne manque pas d’esprit et qui est intrigant comme tous les diables. Mais, malgré tout son savoir-faire, je ne compte pas beaucoup sur le zèle qu’il vient de témoigner pour moi. Peut-être, lui dis-je, ne vous sera-t-il pas inutile. S’il appartenait, par exemple, à quelqu’un des officiers principaux du duc, il pourrait vous rendre service. Vous n’ignorez pas que tout se fait par brigue et par cabale chez les grands ; qu’ils ont des domestiques favoris qui les gouvernent, et que ceux-ci, à leur tour, sont gouvernés par leurs valets.

Le lendemain, dans la matinée, nous vîmes arriver Pédrille à notre hôtel. Messieurs, nous dit-il, si je ne m’expliquai pas hier sur les moyens que j’avais de servir le capitaine de Chinchilla, c’est que nous n’étions pas dans un endroit qui me permît de vous faire une pareille confidence. De plus, j’étais bien aise de sonder le gué avant que de m’ouvrir à vous. Sachez donc que je suis le laquais de confiance du seigneur don Rodrigue de Calderone, premier secrétaire du duc de Lerme. Mon maître, qui est fort galant, va presque tous les soirs souper avec un rossignol d’Aragon qu’il tient en cage dans le quartier de la cour. C’est une jeune fille d’Albarazin, des plus jolies. Elle a de l’esprit et chante à ravir ; aussi se nomme-t-elle la señora Sirena. Comme je lui porte tous les matins un billet doux, je viens de la voir. Je lui ai proposé de faire passer le seigneur don Annibal pour son oncle et d’engager par cette supposition son galant à le protéger. Elle veut bien entreprendre cette affaire. Outre le petit profit qu’elle y envisage, elle sera charmée qu’on la croie nièce d’un brave gentilhomme.