Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/94

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que vous la tenez. Apprenez que la fortune ressemble à ces coquettes vives et légères qui échappent aux galants qui ne les brusquent pas.

Je ne fis que rire des discours de Nunez ; il en rit lui-même à son tour, et voulut me persuader qu’il ne me les avait pas tenus sérieusement. Il avait honte de m’avoir donné inutilement un mauvais conseil. Je demeurai ferme dans la résolution d’être toujours fidèle et zélé. Je ne me démentis point, et j’ose dire qu’en quatre mois, par mon épargne, je fis profit à mon maître de trois mille ducats pour le moins.


CHAPITRE XVI

De l’accident qui arriva au singe du comte Galiano ; du chagrin qu’en eut ce seigneur. Comment Gil Blas tomba malade, et quelle fut la suite de sa maladie.


Au bout de ce temps-là, le repos qui régnait à l’hôtel fut étrangement troublé par un accident qui ne paraîtra qu’une bagatelle au lecteur, et qui devint pourtant une chose fort sérieuse pour les domestiques et surtout pour moi. Cupidon, ce singe dont j’ai parlé, cet animal si chéri du patron, en voulant un jour sauter d’une fenêtre à une autre, s’en acquitta si mal, qu’il tomba dans la cour et se démit une jambe. Le comte ne sut pas sitôt ce malheur, qu’il poussa des cris comme une femme ; et, dans l’excès de sa douleur, s’en prenant à tous ses gens sans exception, peu s’en fallut qu’il ne fît maison nette. Il borna toutefois sa fureur à maudire notre négligence, et à nous apostropher sans ménager les termes. Il envoya chercher sur-le-champ les chirurgiens de Madrid les plus habiles pour les fractures et les dislocations des os. Ils visitèrent la jambe du blessé, la lui remirent et la bandèrent. Mais, quoiqu’ils assu-