Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/98

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soins d’une garde. Sur ces entrefaites, ayant reçu un ordre de la cour qui l’obligeait à repasser en Sicile, il était parti avec tant de précipitation, qu’il n’avait plus songé à moi, soit qu’il me comptât déjà parmi les morts, soit que les personnes de qualité soient sujettes à ces fautes de mémoire.

Ma garde me fit ce détail, et m’apprit que c’était elle qui avait été chercher un médecin et un apothicaire, afin que je ne périsse pas sans leur assistance. Je tombai dans une profonde rêverie à ces belles nouvelles. Adieu mon établissement avantageux en Sicile ! adieu mes plus douces espérances ! Quand il vous arrivera quelque grand malheur, dit un pape, examinez-vous bien, et vous verrez qu’il y aura toujours de votre faute. N’en déplaise à ce saint-père, je ne vois pas comment dans cette occasion je contribuai à mon infortune.

Lorsque je vis évanouir les flatteuses chimères dont je m’étais rempli la tête, la première chose dont je m’embarrassai l’esprit fut ma valise que je fis apporter sur mon lit pour la visiter. Je soupirai en m’apercevant qu’elle était ouverte. Hélas ! ma chère valise, m’écriai-je, mon unique consolation ! vous avez été, à ce que je vois, à la merci des mains étrangères. Non, non, seigneur Gil Blas, me dit alors la vieille, rassurez-vous, on ne vous a rien volé. J’ai conservé votre malle comme mon honneur.

J’y trouvai l’habit que j’avais en entrant au service du comte ; mais j’y cherchai vainement celui que le Messinois m’avait fait faire. Mon maître n’avait pas jugé à propos de me le laisser, ou bien quelqu’un se l’était approprié. Toutes mes autres hardes y étaient, et même une grande bourse de cuir qui renfermait mes espèces ; je les comptai deux fois, ne pouvant croire, la première, qu’il n’y eût que cinquante pistoles de reste de deux cent soixante qu’il y avait dedans avant ma maladie. Que signifie ceci, ma bonne mère ? dis-je à ma garde. Voilà mes finances bien diminuées. Per-