Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

on a beau regarder de tous ses yeux, on ne comprend ni la haute poésie, ni le grand art. Les intérêts, dits positifs, exercent là un empire trop absorbant et trop fascinant, pour permettre qu’on s’initie aux austères voluptés du renoncement, aux saintes indignations de la vertu luttant contre l’adversité, aux sacrifices que l’honneur commande et que l’enthousiasme embellit, aux nobles mépris des faveurs de la fortune, aux défis audacieux lancés à un destin cruel, à tous ces sentimens enfin qui alimentent la haute poésie et le grand art, alors qu’ils ne se souviennent même plus de l’existence des craintes, des prudences, des précautions, qui se puisent dans les livres de comptabilité en partie double. En ces parages, le poète et l’artiste sont exloités au profit de la vulgarité qui l’abaisse et parfois le dégrade.

Mais, comme le rayon solaire qui se dégage d’un trône peut ne jamais venir, comme la pluie d’or que distillent les billets de banque ne manque jamais d’endormir la Muse, qu’y aurait-il d’étonnant si dans cette alternative, plutôt que de chanter leurs plus beaux chants, de dire leurs plus beaux secrets à qui les éconte sans les entendre, l’artiste et le poète préféraient maintes fois avoir faim, avoir froid, au moral ou au physique, rester dans une solitude stérile, contraire à leur nature qui a besoin de chaleur, d’écho, de reflets, d’expansion, pour prendre foi en elle-même ? Qu’y aurait-il d’étonnant s’ils choisissaient le sort de Shakespeare ou de