Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 9 —

si rare génie mélodique, par de si merveilleuses inspirations rhythmiques, par de si heureux et de si remarquables agrandissemens du tissu harmonique, que ses conquêtes seront préférées avec raison à mainte œuvre de surface plus étendue, jouée et rejouée par de grands orchestres, chantée et rechantée par une quantité de prime donne.

Le génie de Chopin fut assez profond et assez élevé, assez riche surtout, pour avoir pu s’établir de prime-abord, si non de prime-saut, dans le vaste domaine de l’orchestration. Ses idées musicales furent assez grandes, assez arrêtées, assez nombreuses, pour se répartir à travers toutes les mailles d’une large instrumentation. Si les pédans lui eussent reproché de n’être point polyphone, il avait de quoi se moquer des pédans en leur prouvant que la polyphonie, tout en étant une des plus surprenantes, des plus puissantes, des plus admirables, des plus expressives, des plus majestueuses ressources du génie musical, ne représente après tout qu’une ressource ; un mode d’expression, une des formes du style dans l’art, plus usité par tel auteur, plus général en telle époque ou tel pays, selon que le sentiment de cet auteur, de cette époque, de ce pays, en avaient plus besoin pour se traduire. Or, l’art n’étant pas là pour mettre en œuvre ses ressources en tant que ressources, pour faire valoir ses formes en tant que formes, il est évident que l’artiste n’a lieu de s’en servir que lorsque ces formes et ces