Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/251

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comme leur bien par ceux-mêmes qu’elle glorifiait, que le furent les poèmes de Mickiewicz, les poésies de Slowacki, les pages de Krasinski ? Hélas ! L’art porte en lui un charme si énigmatique, son action sur les cœurs est enveloppée d’un si doux mystère, que ceuxmêmes qui en sont les plus subjugés ne sauraient aussitôt, ni traduire en paroles, ni formuler en images identiques, ce que dit chacune de ses strophes, ce que chante chacune de ses élégies ! Il faut que des générations aient appris à inhaler cette poésie, à respirer ce parfum, pour en saisir enfin la sapidité toute locale, pour en deviner le nom patronymique !

Ses compatriotes affluaient autour de Chopin ; ils prenaient leur part de ses succès, ils jouissaient de sa célébrité, ils se vantaient de sa renommée, parcequ’il était un des leurs. Cependant, on peut bien se demander s’ils savaient à quel point sa musique était la leur ? Certes, elle faisait battre leurs cœurs, elle faisait couler leurs pleurs, elle dilatait leurs âmes ; mais savaient-ils toujours au juste pourquoi ? Il est permis à qui les a fréquenté avec une grande sympathie, à qui les a aimé d’une grande affection, à qui les a admiré d’un grand enthousiasme, de penser qu’ils n’étaient point assez artistes, assez musiciens, assez habitués à distinguer avec perspicacité ce que l’art veut dire, pour savoir exactement d’où venait leur profonde émotion lorsqu’ils écoutaient leur barde. A la manière dont quelques uns et quelques unes jouaient ses pages,