Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/277

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sans que son esprit eût besoin de les analyser, de les préciser, de les classer, de les nommer. Son âme vibrait à l’unisson des paysages admirables, sans qu’il pût assigner, dans le moment, à chaque impression l’accident qui en était la source. En véritable musicien il se contentait d’extraire, pour ainsi dire, le sentiment des tableaux qu’il voyait, paraissant abandonner à l’inattention la partie plastique, l’écorce pittoresque qui ne s’assimilaient pas à la forme de son art, n’appartenant pas à sa sphère plus spiritualisée. Et cependant (effet qu’on retrouve fréquemment dans les organisations comme la sienne), plus il s’éloignait des instans et des scènes où l’émotion avait obscurci ses sens, comme les fumées de l’encens enveloppant l’encensoir, et plus les dessins de ces lieux, les contours de ces situations semblaient gagner à ses yeux en netteté et en relief. Dans les années suivantes il parlait de ce voyage et du séjour de Majorque, des incidens qui les ont marqués, des anecdotes qui s’y rattachaient, avec un grand charme de souvenirs. Mais alors qu’il était si pleinement heureux, il n’inventoriait pas son bonheur !

D’ailleurs, pourquoi Chopin eût-il porté un regard observateur sur les sites de l’Espagne qui ont formé le cadre de son poétique bonheur ? Ne les retrouvait-il pas plus beaux encore, dépeints par la parole inspirée de sa compagne de voyage ? Il les revoyait, ces sites délicieux, à travers le coloris de son talent passionné, comme à travers de rouges vitraux on voit tous les