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n’est pas difficile de distinguer dans ces productions plus de volonté que d’inspiration. La sienne était impérieuse, fantasque, irréfléchie ; ses allures ne pouvaient être que libres. Nous croyons qu’il a violenté son génie chaque fois qu’il a cherché à l’astreindre aux règles, aux classifications, à une ordonnance qui n’étaient pas les siennes et ne pouvaient concorder avec les exigences de son esprit, un de ceux dont la grâce se déploie surtout lorsqu’ils semblent aller à la dérive.

Il fut peut-être entraîné à désirer ce double succès par l’exemple de son ami Mickiewicz, qui après avoir été le premier à doter sa langue d’une poésie romantique, faisant école dès 1818 dans la littérature polonaise par ses Dziady et ses ballades fantastiques, prouva ensuite, en écrivant Grażyna et Wallenrod, qu’il savait aussi triompher des difficultés qu’opposent à l’inspiration les entraves de la forme classique ; qu’il était également maître lorsqu’il saisissait la lyre des anciens poëtes. Chopin, en faisant des tentatives analogues, n’a pas à notre avis aussi complétement réussi. Il n’a pu maintenir dans le carré d’une coupe anguleuse et roide, ce contour flottant et indéterminé qui fait le charme de sa pensée. Il n’a pu y enserrer cette indécision nuageuse et estompée qui, en détruisant toutes les arêtes de la forme, la drape de longs plis, comme de flocons brumeux, semblables à ceux dont s’entouraient les beautés ossianiques lorsqu’elles faisaient apparaître