Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/282

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invulnérable, dominant la succession des âges et apparaissant partout, de par le don de subtile omniprésence qui lui permet d’entrer dans tous les cœurs, en traversant toutes leurs enveloppes.

Or, chose bien digne de remarque, Chopin n’a ni ressuscité, ni transfiguré l’époque de suprême bonheur que le séjour de Majorque marqua dans sa vie. Il s’en abstint sans y avoir réfléchi, sans en avoir donné la raison au tribunal de son jugement, sans même se l’être demandée, sans l’avoir scrutée avec un regret ou avec un désespoir. Il ne le fit pas, instinctivement. Sonâme droite et nativement honnête, que les paradoxes indignes n’ont jamais pervertie, répugnait à la glorification de ce qui, ayant pu cire, n’a point été ! Pour ce fils de l’héroïque Pologne, où femmes et hommes versent jusqu’à la dernière goutte de leur sang afin d’attester la réalité de leur idéal, tout idéal manqué, privé de réalité, était un avortement. Mais tout avortement, qui est une mort dans le monde des vivans, n’est même pas né dans le monde de la poésie ; l’on ignore son nom dans le monde du beau ! Aussi, Chopin a-t-il chanté les impressions, les bonheurs, les admirations, les enthousiasmes de sa jeunesse, tout naturellement, comme l’oiseau chante dans les bois, comme le ruisseau murmure dans les prés, comme la lune resplendit dans les nuits, comme la vague scintille sur le sein de la mer, comme le rayon luit dans les champs de l’éther ! Tandis qu’il n’a pas su raconter son bonheur étrange en cette île enchantée,