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ses œuvres, il lui répondit que son cœur ne l’avait pas trompée dans son mélancolique attristement, car quels que fussent ses passagers égaiemens, il ne s’affranchissait pourtant jamais d’un sentiment qui formait en quelque sorte le sol de son cœur, pour lequel il ne trouvait d’expression que dans sa propre langue, aucune autre ne possédant d’équivalent au mot polonais de Żal ! En effet, il le répétait fréquemment, comme si son oreille eût été avide de ce son qui renfermait pour lui toute la gamme des sentimens que produit une plainte intense, depuis le repentir jusqu’à la haine, fruits bénis ou empoisonnés de cette âcre racine.

Żal ! Substantif étrange, d’une étrange diversité et d’une plus étrange philosophie ! Susceptible de régimes différens, il renferme tous les attendrissemens et toutes les humilités d’un regret résigné et sans murmure, aussi longtemps que son régime direct s’applique aux faits et aux choses. Se courbant, pour ainsi dire, avec douceur devant la loi d’une fatalité providentielle, il se laisse traduire alors par, « regret inconsolable après une perte irrévocable ». Mais, sitôt qu’il s’adresse à l’homme et que son régime devient indirect, en affectant une préposition qui le dirige vers celui-ci ou celle-là, il change aussitôt de physionomie et n’a plus de synonyme ni dans le groupe des idiômes latins, ni dans celui des idiômes germains. — D’un sentiment plus élevé, plus noble, plus large que le mot « grief », il signifie pourtant le ferment de la rancune, la révolte