Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/82

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Quand l’homme sait haïr et que la femme se contente de dénigrer l’ennemi, il y a de poignantes incertitudes ; les mains qui ont échangé l’anneau des fiançailles font glisser les bagues sur leurs doigts, en se demandant si elles y resteront ? Quand la femme est de la trempe de la Vte Eustache Sanguszko, aimant mieux. voir son fils aux mines (pie de ployer les genoux devant le czar ’), et que l’homme se demande s’il n’est point permis d’imiter le sort des K. des B. des L. des J. etc., qui vécurent à S. Petersbourg comblés d’honneurs, tout en élevant

1) A la suite de la guerre de 1830, le P" Roman Sanguszko fut condamné à être soldat à perpétuité en Sibérie. En revoyant le decret, l’empereur Nicolas ajouta de sa main : « où il sera conduit les chaînes aux pieds ». — Sa santé étant gravement atteinte, la famille fit des démarches à la cour et reçut pour réponse que si sa mère, la Pss"’ Eustache, venait se jeter aux pieds de l’empereur, elle obtiendrait la grâce de son fils. Longtemps la princesse s’y refusa. L’état de son fils empirant toujours, elle partit. Arrivée à Petersbourg, les pourparlers commentèrent sur la manière dont s’accomplirait sa génuflexion. On proposa d’abord les formes les plus humiliantes que la princesse rejetait les unes après les autres, prête à retourner chez elle. Enfin, il fut convenu qu’elle demanderait, et recevrait une audience de l’impératrice, que l’empereur viendrait et que là, sans autres témoins, la princesse implorerait a genoux la grâce de son enfant. Quand elle fut chez l’impératrice. l’empereur entra… voyant que la princesse ne bougeait pas, l’impératrice crut qu’elle ne le reconnaissait point et se leva… La princesse se leva et debout attendit… l’empereur la regarda, traversa lentement le salon…et sortit !… L’impératrice hors d’elle saisit les mains de la princesse, en s’écriant : « Vous avez perdu une occasion unique !.. » - La princesse raconta plus tard que ses genoux étaient devenus de marbre et, qu’en songeant aux miliers de polonais qui soutiraient plus encore que son fils, elle fut plutôt morte que de les plier. Elle n’obtint aucune grâce, mais les siècles entoureront d’une auréole la momoire sacrée de celle malionne polonaise aux antiques vertus.