Page:Liszt - F. Chopin, 1879.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faits, mais incapable de voir qu’elle écrase de sa masse informe les fleurs dont ce miel est tiré, qu’elle fait mourir sous ses grosses pattes les travailleuses ailées sans lesquelles il n’existe pas.

Pourtant, sans un tel pacte le polonais, héritier d’une civilisation huit fois séculaire et dédaignant depuis cent ans de renoncer à ce qu’elle lui a mis au cœur d’élévation, de noblesse, de hautaine indépendance, pour accepter la fraternité des puissans serviles ; le polonais apparaît en Europe comme un paria, un jacobin, un être dangereux, dont il vaut mieux éviter le voisinage fâcheux. S’il voyage, lui, grand-seigneur par excellence, il devient un épouvantail pour ses pairs ; lui, catholique fervent, martyr de sa foi, il devient la terreur de son pontife, un embarras pour son Eglise ; lui, par essence homme de salon, causeur spirituel, convive exquis, il semble un homme de rien à écarter poliment ! N’est-ce point là un calice d’amertume ? N’est-ce point là un sort plus dur à affronter qu’un combat glorieux, qui ne se prolonge pas durant toute une existence ? Néanmoins, chaque jeune-homme et chaque jeune-femme qui durant une mazoure se rencontrent une fois par hasard, ont à honneur de se prouver l’un à l’autre qu’ils sauront boire ce calice ; qu’ils l’acceptent, émus et joyeux, de la main qui pour lors le présente avec un cœur plein d’enthousiasme, des yeux pleins d’amour, un mot plein de force et de grâce, un geste plein d’élégance fière et dédaigneuse.