Page:Loti - Aziyadé.djvu/235

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perdu dans les bois dont elle ne sait plus le nom, d’une plage où elle jouait en plein air, avec les autres petits enfants des montagnards…

On voudrait reprendre sur le temps le passé de la bien-aimée, on voudrait avoir vu sa figure d’enfant, sa figure de tous les âges ; on voudrait l’avoir chérie petite fille, l’avoir vue grandir dans ses bras à soi, sans que d’autres aient eu ses caresses, sans qu’aucun autre ne l’ait possédée, ni aimée, ni touchée, ni vue. On est jaloux de son passé, jaloux de tout ce qui, avant vous, a été donné à d’autres ; jaloux des moindres sentiments de son cœur, et des moindres paroles de sa bouche, que, avant vous, d’autres ont entendues. L’heure présente ne suffit pas ; il faudrait aussi tout le passé, et encore tout l’avenir. On est là, les mains dans les mains ; les poitrines se touchent, les lèvres se pressent ; on voudrait pouvoir se toucher sur tous les points à la fois, et avec des sens plus subtils, on voudrait ne faire qu’un seul être et se fondre l’un dans l’autre…

— Aziyadé, dis-je, raconte-moi un peu de petites histoires de ton enfance, et parle-moi du vieux maître d’école de Canlidja.