Page:Loti - Aziyadé.djvu/320

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et nues, d’un noir d’ébène ; elle trottinait tête basse, et se parlait à elle-même… C’était Kadidja.

Kadidja me reconnut. Elle poussa un intraduisible Ah ! avec une intonation aiguë de négresse ou de macaque, et un ricanement de moquerie.

— Aziyadé ? dis-je.

Eûlû ! eûlû ! dit-elle en appuyant à plaisir sur ces mots bizarrement sauvages qui, dans la langue tartare, désignent la mort.

Eûlû ! eûlmûch ! criait-elle, comme à quelqu’un qui ne comprend pas.

Et, avec un ricanement de haine et de satisfaction, elle me poursuivait sans pitié de ce mot funèbre :

— Morte ! Morte !… elle est morte !

On ne comprend pas de suite un mot semblable, qui tombe inattendu comme un coup de foudre ; il faut un moment à la souffrance, pour vous étreindre et vous mordre au cœur. Je marchais toujours, j’avais horreur d’être si calme. Et la vieille me suivait pas à pas, comme une furie, avec son horrible Eûlû ! eûlû !

Je sentais derrière moi la haine exaspérée de cette créature, qui adorait sa maîtresse que j’avais