Page:Lucain, Silius Italicus, Claudien - Œuvres complètes, Nisard.djvu/17

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VIE DE LUCAIN,
ET
JUGEMENTS QUI ONT ÉTÉ PORTÉS SUR CE POÈTE.

Marcus Annæus Lucain naquit à Cordoue en Espagne, le 3 des nones de novembre, l’an de Rome 791, sous le second consulat de Caïus César et de Lucius Apronius Cæsianus, l’an 59 de notre ère. Son père était Marcus Annæus Mela, le plus jeune frère de Sénèque le philosophe, chevalier romain ; et sa mère, Acilia, fille d’Acilius Lucanus, orateur lie la province. Il fut amené à l’âge de huit ans à Rome où ses parents étaient venus se fixer, et il fut élevé sous la direction de son oncle, dont l’exemple détermina le but et la nature de ses études. Il eut les mêmes précepteurs que Perse, Remmius Palémon et Annæus Cornutus. Il déclama en grec et en latin, à la grande admiration de ses auditeurs, et bientôt il se distingua au barreau. Devenu le familier et l’ami de Néron, il fut chargé, quoique encore adolescent, de l’office de questeur et même de la dignité d’augure. Des rivalités de poésie brouillèrent le maître et le client : Néron, indigné des applaudissements qui avaient accueilli le poëme d’Orphée, dont l’auteur était Lucain, lui défendit de déclamer désormais en public. Le dépit et l’ambition tirent entrer Lucain dans cette conjuration de Pison dont on peut regretter que Tacite, qui en a fait un si brillant tableau, n’ait pas recherché avec plus de soin et indique avec plus de netteté les causes. « Lucain, dit ce grand historien, dans le récit de cette conjuration (Annal., I. 15, ch. 49), était enflammé par des motifs personnels : il en voulait à Néron d’avoir étouffé la renommée de ses vers, et, par une jalousie de rival vaincu, de lui avoir interdit de les publier. » Pressés par la menace des tortures de déclarer leurs complices, « Lucain, Quintianus et Sénécion, ajoute Tacite (ch. 50), refusèrent longtemps ; mais, cédant lâchement à une promesse d’impunité, Lucain dénonça sa mère Acilia, et Quintianus et Sénécion nommèrent leurs principaux amis, Glicius Gallus et Annius Pollion. » C’eût été le crime des dieux, pour parler le langage de Lucain, que de pareils conjurés usurpassent l’empire du monde même en le délivrant de Néron.

Cependant Lucain mourut avec courage. Néron l’avait laissé libre de choisir le genre de mort. « Après avoir fait un copieux repas, dit une ancienne biographie attribuée à Suétone, il se fit ouvrir les veines. Le sang coulant à grands flots, continue Tacite, dès qu’il sentit aux mains et aux pieds le froid de la mort, et que, d’un cœur encore ardent et entièrement maître de lui-même, il vit que peu à peu la vie se retirait des extrémités, s’étant souvenu de quelques vers où il avait peint un soldat blessé, mourant de la même mort que lui, il se mit à les réciter : ce furent ses dernières paroles.

Ainsi mourut Lucain, la veille des kalendes de mai, en l’an de Rome 818, et de l’ère chrétienne 65, sous le consulat de Publius Silius Nerva et de Caius Julius Atticus Vestinus. Sa fin, mélange bizarre de lâcheté et de courage, fut telle qu’on devait l’attendre d’un homme qui avait été inspiré par un esprit déclamateur plutôt que par un souffle vraiment poétique, dans son dessein de chanter la ruine de la liberté romaine. Il laissa une femme, Polla Argentaria, dont Stace (l. 2, Silv. 7) a célébré le rare savoir et la piété pour son mari mort. La même biographie dont nous venons de parler, apparemment pour atténuer l’infâme de Lucain dénonçant sa mère, dit que cette femme vivait en mauvaise intelligence avec son mari, lequel demeurait à La