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LA PHARSALE.


Chaque fois que la fortune vient frapper Rome, c’est par ici qu’entre la guerre. »

Ainsi chacun gémit en secret, n’osant montrer sa crainte et prêter une voix à sa douleur. La ville reste silencieuse, comme la campagne dont les frimas ont fait faire les oiseaux, comme la pleine mer calme et sans murmure.

La lumière avait dissipé les froides ombres de la nuit. Voici les brandons de discorde qui viennent pousser, exciter aux combats le courage indécis de César. Les destins tranchent ses derniers scrupules : la Fortune elle-même travaille à justifier sa révolte, à légitimer ses armes. Toujours menaçant au souvenir des Gracchus, le sénat a violé le droit pour chasser de Rome partagée les tribuns en discorde, et les bannis accourent sous les enseignes rebelles. Avec eux est Curion, harangueur vénal, autrefois la voix du peuple : audacieux tribun, il ne craignit pas de défendre la liberté et de refouler dans le peuple les patriciens qui portent le glaive. Dès qu’il a vu César et compris les soucis divers qui l’agitent : « Tant que ma voix, dit-il, a pu servir ta cause, malgré le sénat j’ai prolongé ton commandement. Alors il m’était permis d’occuper la tribune et d’entraîner vers toi les citoyens irrésolus. Mais aujourd’hui que la guerre a forcé les lois au silence, on nous chasse du toit paternel, et nous voici dans ton camp ; exilés volontaires ; César, la victoire nous ramènera citoyens. Tandis que les partis tremblent, faibles et sans appuis, hâte-toi. Il nuit toujours de différer quand on est prêt. Un plus noble salaire ne l’appelle pas à des travaux, à des périls plus grands. La Gaule, une étroite province, t’a retenu deux lustres sous les armes ; après quelques faciles combats, Home le donnera l’univers. La pompe d’un triomphe si longtemps mérité ne doit pas accueillir ton retour ; le Capitole ne réclame pas tes lauriers sacrés : l’envie rongeuse te refuse tout. Heureux encore si les conquêtes restent impunies. Le gendre a résolu de détrôner son beau-père. Or, si tu ne peux partager l’empire, tu peux l’avoir seul. » C’est ainsi qu’il parla. César, déjà porté à la guerre, sent redoubler son courroux et son ardeur. Tel s’anime aux clameurs de la foule le coursier d’Élide, qui, prisonnier dans la barrière, déjà menace l’arène et rejette ses liens.

Aussitôt César rappelle sous les enseignes ses bataillons fidèles ; son visage sévère apaise le désordre tumultueux de celle foule empressée, et son geste ordonne le silence. « Compagnons de mes guerres, dit-il, qui avez avec moi traversé tant de dangers et dix ans de triomphes, voilà donc ce que nous ont valu tant de sang répandu dans les plaines arctiques, et les blessures, et les morts, et les hivers passés sous les Alpes ! Un grand tumulte agite Rome en armes, comme si