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LUCAIN.


les veines chaudes des entrailles et les présages de l’oiseau qui fend l’air. Par son ordre, on saisit, on livre aux flammes ces monstres nés sans germe et que la nature a formés dans un sein révolté. Puis il commande aux citoyens tremblans des processions autour de la ville. Les pontifes, arbitres du culte, purifient les murs avec l’eau lustrale, parcourant les longs détours du Pomœrium sacré. La foule des prêtres les suit, sous la toge gabienne(6). Derrière sa prêtresse couronnée de bandelettes, marche le chœur des Vestales, qui seules ont droit de voir la Minerve troyenne(7). Viennent après, ceux qui gardent les livres du sort et les secrètes prophéties, et nous rappellent tous les ans Cybèle plongée par le prêtre dans les faibles eaux de l’Almon[1] : et l’augure habile à contempler les oiseaux sinistres ; et le septemvir qui gouverne les banquets sacrés ; et les pontifes d’Apollon Titien ; et le Salien joyeux, qui porte en dansant les boucliers de Mars ; et le Flamine qui redresse majestueusement sa crête orgueilleuse[2].

Tandis que cette multitude entoure la ville de ses longs replis, Arruns rassemble les brandons dispersés de la foudre, les enfouit dans la terre qui murmure des gémissements, consacre ces lieux, puis approche de l’autel un taureau choisi. Déjà Bacchus arrose la victime, et le pontife, promenant le couteau, répand sur elle le gâteau sacré. La victime indocile se débat longtemps contre le sacrifice, sous la main des prêtres qui, la robe relevée, pèsent sur ses cornes menaçantes : vaincue, ses jarrets ploient et sa gorge se présente au fer. La sang ne brille pas de sa couleur accoutumée ; d’une large plaie découle, au lieu d’un ruisseau vermeil, un virus épais et noir. Arruns, pâlissant d’effroi devant ces funestes présages, interroge la colère des dieux dans les entrailles arrachées. Leur couleur ne l’épouvante pas moins. Ce sont de pâles viscères semés de taches livides, souillés d’une épaisse sanie, que nuancent les gouttes violettes d’un sang corrompu. Le foie nage dans cette humeur impure. Du côté de l’ennemi, les veines sont menaçantes : le prêtre ne trouve pas la fibre du poumon palpitant : une faible membrane sépare les organes de la vie : le cœur est abattu : le pus dégoutte des entrailles sillonnées d’ulcères profonds : les intestins déchirés sont à nu ; et, ce qu’on ne vit jamais impunément dans le flanc des victimes, du côté funeste la racine des fibres est largement enflée : du côté propice, elles sont languissantes et flétries ; de l’autre, elles bondissent et impriment aux veines un rapide battement.

Arruns a reconnu le présage de grandes calamités. — « Ô dieux ! s’écrie-t-il, dois-je révéler aux peuples tout ce que vous annoncez ? Car ce n’est pas à toi, grand Jupiter, que j’adresse ce sacrifice ; j’ai trouvé les dieux de l’enfer

  1. L’Almon coule dans le Tibre. Tous les ans les prêtres lavaient dans ses eaux la statue de Cybèle.
  2. Étoupe blanche à l’extrémité de leur bonnet.