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LUCAIN.


Phébus, quelle est celle démence ? Je vois des javelots, des glaives romains, se confondre dans la mêlée ; je vois la guerre et pas d’ennemi. Où vais-je encore ? Me voici au berceau du soleil, où la mer change de couleur dans le Nil des Lagides. Ce tronc informe, étendu sur l’arène du fleuve, je le reconnais. Je vole sur les Syrtes trompeuses, sur l’aride Lybie, où la cruelle Érinnys a transporté les débris de Pharsale. Et maintenant tu m’emportes au-dessus des Alpes, dont les collines portent les nuages au-dessus des aériennes Pyrénées. Et puis je revois les édifices de ma patrie. La guerre impie s’achève au milieu du sénat. Les ï partis se relèvent encore, et de nouveau je par» cours le monde. Montre-moi d’autres terres, « d’autres mers, Phébus ; j’ai déjà vu Philippes. » Elle dit, et tombe affaissée sous sa fureur qui l’abandonne.



CHANT SECOND.

Déjà la colère des dieux s’est révélée, et, par des signes manifestes, le monde annonce la guerre. Dans ses pressentiments la nature a brisé les lois et l’harmonie des choses, et le désordre de ses créations monstrueuses prophétise le crime. Pourquoi, souverain de l’Olympe, ajouter aux humaines douleurs cette autre inquiétude qui leur fait lire leur ruine future dans de funestes présages ? Quand le Créateur des choses, dissipant la flamme du chaos, s’empara de ces royaumes sans forme, de cette brute matière, a-l-il fait des lois éternelles qui gouvernent tout et l’enchaînent lui-même ? At-il marqué la fin immuable et fatale des mondes après les siècles qu’il leur faut parcourir ? ou rien n’est-il établi d’avance, et le hasard incertain promène-t-il nos destinées suivant le caprice de ses vicissitudes ? — Ah ! que du moins tes arrêts nous frappent de coups imprévus ; que, la raison de l’homme soit aveugle sur l’avenir : laisse l’espérance à la crainte !

Dès que l’on vit combien de désastres allaient confirmer les divines prophéties, un repos funèbre pesa sur le Forum ; toutes les dignités se cachèrent sous l’habit plébéien ; la pourpre ne fut plus entourée de faisceaux ; les citoyens étouffèrent leurs plaintes ; une douleur immense erra sans voix par toute la cité. Tel est cet effroi muet des familles, quand la mort vient de frapper, quand le cadavre gisant n’a pas reçu les derniers adieux, quand la mère échevelée, qui n’a pas ordonné les cris lamentables des esclaves, embrasse ces membres raidis que la vie abandonne, ce visage inanimé, ces yeux qui nagent dans la mort. Ce n’est pas encore le désespoir, mais l’effroi. Délirante et courbée sur sa couche, elle contemple son malheur.

Les matrones ont déposé leur parure ; leur troupe gémissante assiége les autels. Celles-ci